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De psy en aiguille

 

Les entretiens avec F., ma psychothérapeute, ont continué plusieurs semaines après la "séance vérité", et peu à peu la conviction transsexuelle s'imposait. Qu'on me comprenne bien : je n'ai jamais revendiqué la certitude d'une identité féminine enfermée dans un corps masculin, non. Mais cette aspiration à la féminité installée en moi depuis toujours, et qui à présent emplissait ma vie sans répit, cette aspiration semblait réclamer une juste compensation à un refoulement trop longtemps imposé.

D'ailleurs lors des séances où F. tentait de me faire jouer mon rôle masculin, j'exprimais de plus en plus un rejet viscéral, voire une profonde colère : "assez, j'ai assez joué l'homme, fichez-moi la paix, laissez moi vivre à présent..."

D'un commun accord, F. et moi décidâmes que j'irais consulter un psychiatre en ville, afin qu'il confirme ou infirme le "diagnostic" (je mets des guillemets à diagnostic, éprouvant certaine réserve quant à la médicalisation psychiatrique du transsexualisme ; mais l'objectif de ce site n'étant pas polémique je n'irai pas plus avant dans cette voie).

C'est ainsi que je me présentai un jour, bien entendu sur mon 31, chez le Dr B. Accueil plutôt réservé. Sur son invite je contai mon histoire dans les grandes lignes, puis à sa demande dans les détails. 30 minutes plus tard, à ma grande surprise il me déclara que mon discours était parfaitement sensé (pas le moindre signe de psychose !), que j'avais posé des actes forts depuis quelques semaines, et que donc pour lui l'affaire était entendue. "Identité profonde ? Ah, la grande question... qui n'a d'ailleurs pas de réponse ! Vous auriez 20 ans, et je vous sentirais fragile, je vous proposerais bien de vous allonger sur mon divan, pour entamer une psychanalyse. Mais là, vraiment, ce serait malhonnête de ma part. Faites votre chemin, et lorsque vous vous sentirez prête à entamer les démarches, revenez me voir, je tâcherai de vous aider."

Ce que je fis quelques mois plus tard. "Alors, on persiste et signe ?... Eh bien vous avez bien raison : ça vous évitera de finir con !!!" Et un peu plus tard dans la discussion, ce lapsus magnifique : "Vous m'aviez bien dit la dernière fois que vous étiez mariée ? Et comment vit-il ça, à présent, votre mari ?" Blanc de quelques secondes, suivi d'un fou-rire incoercible que nous avons partagé joyeusement !

Vint alors, en août 2004, l'entrée dans le "protocole transsexuel" : premier rendez-vous, fatidique, avec le psychiatre chargé sur l'ensemble de la région de coordonner les suivis transsexuels. Autant dire que le personnage est doté d'un pouvoir discrétionnaire. Vu mon âge avancé, ma situation matrimoniale et mon peu de goût pour l'ordre établi, je me rendis à l'hopital relativement décontractée, à peu près certaine de me faire blackbouler à la première entrevue.

Laquelle fut rude, en effet. Le Dr P., chef de service réputé pour son caractère affirmé, me fit un accueil pour le moins glacial. Dès les premiers instants l'entretien vira au pugilat verbal, à fleurets mouchetés, certes, entre gens bien élevés, mais à la virulence non dissimulée. L'atmosphère se détendit au bout d'une heure, lorsque j'eus l'occasion de lui servir une répartie teintée d'humour : quelques minutes auparavant, il avait décrété que je savais évidemment et sans le moindre doute ce que je voulais, me faire opérer. "Ca, c'est votre conscient qui le dit, mais votre insonscient, lui, hein, qu'en dit-il, votre inconscient ?" Ce à quoi je lui répondis que c'était lui le psychiatre, et que j'étais assez mal placée pour parler au nom de mon inconscient, réponse qui lui plut. Et donc un peu plus loin dans la discussion, il se sentit obligé de me dire (après avoir tout de même copieusement critiqué les transsexuels) qu'il n'avait pas de parti pris vis à vis du tanssexualisme. Le regardant en souriant, je lui rétorquai : "Ca, c'est votre conscient qui le dit, mais votre inconscient ?" Rires...

Bref, à l'issue de ce duel sans merci, je fus à ma grande surprise admise dans le protocole, et priée de passer devant une psychologue pour des tests.

La seconde entrevue, résultats positifs des tests à l'appui, fut nettement plus chaleureuse. Puis malgré quelques piques verbales de temps à autre, nos entretiens au long cours prirent une tournure franchement cordiale et débouchèrent, en février 2005, sur le feu vert pour l'hormonothérapie.

 

Mais le parcours transsexuel, c'est aussi bien d'autres choses. En premier lieu il s'agit de se débarrasser des armées ennemies, innombrables, surentraînées, traîtresses et à renouvellement permanent, auprès desquelles les grands fléaux que sont les invasions de sauterelles ou de fourmis géantes font figure de divertissement : j'ai nommé les poils !!!

Le visage est bien sûr la zone de prédilection de ces prédateurs infâmes. Et si l'arme de destruction massive qu'est le laser peut en une dizaine de séances (douloureuses !) venir à bout des plus voyants, c'est sans compter sur les bataillons les plus redoutables, sournois et infatigables, les poils blancs, insensibles au puissant rayon lumineux. Il faut alors en revenir au procédé archaïque, que n'utilisent que les dermatologues fidèles à leur serment d'Hippocrate, (les autres refusent, pas assez rentable) : l'épilation à l'aiguille. Poil par poil, le praticien enfonce une aiguille et brûle la racine au moyen d'un courant électrique (TRES douloureux !), parfois jusqu'à 5 ou 6 fois pour le même poil, car suivant sa phase de cycle de vie la racine est ou n'est pas détruite définitivement. Avis aux esprits bien pensants qui traitent les transsexuel(le)s de fantasmeurs : pour résister à ce traitement au long cours, il faut vraiment avoir cette histoire chevillée à l'âme !!!

Et puis, quand comme moi on a laissé le temps faire ses ravages, en se regardant avec dégoût chaque matin dans le miroir, fataliste et désabusée, il y a cet immense problème, ce crève-coeur si difficile à vivre au masculin et carrément intolérable dans notre cas : la calvitie. Lotions, frictions, médicaments à effets secondaires (adieu libido, déjà pas bien brillante...) : 18 mois d'efforts intenses ont permis de redensifier un peu la chevelure. Mais il reste les zones les premières dégarnies, où les bulbes sont définitivement mort, les golfes. Seule solution : les micro-greffes de cheveux prélevés sur la nuque. Là encore, il ne s'agit pas d'une partie de plaisir, et les résultats ne sont pas garantis... Courage, patience, détermination. Ne jamais baisser les bras, se battre contre la fatalité : non, il n'est jamais trop tard pour oser vivre !

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