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Décembre 2006

Un an s'est écoulé depuis la création de ce site. Un an ? Un siècle, oui ! Mais non, c'était hier... Curieux comme le temps s'est densifié, tout en semblant filer de plus en plus vite. Densifié car ma vie, bien sûr, a pris un tout autre relief depuis le début de cette quête...

 

Changement d'image

 

Un important changement est intervenu en octobre 2005, dont je n'ai pas parlé précédemment. C'était trop tôt, je n'étais sans doute pas certaine encore que le pas franchi avait été si décisif. Et pourtant, avec le recul, je m'aperçois que ce que j'avais programmé pour n'être qu'un élément de confort transitoire dans mon image androgyne m'a définitivement fait basculer côté féminin, du moins dans l'appréhension qu'avaient les gens de mon image : le port d'un complément capillaire. Sur les conseils d'une copine, j'ai eu recours à l'une des dernières personnes en France susceptible de fabriquer cet objet qu'on nomme parfois "moumoute" par dérision, cela paraît si ridicule et si démodé, n'est-ce pas. Et pourtant, si les fabricants en sont rares chez nous, c'est parce qu'il s'agit d'un marché considérable dont la partie production, mondialisation oblige, s'est déplacée en Asie où matière première (le cheveu) et main d'oeuvre sont beaucoup moins chères.

Dans mon idée, il s'agissait surtout de pouvoir masquer, dans cette période intermédiaire, les marques laissées par les greffes de cheveux, pratique barbare et sanguinolante sur laquelle je ne m'étendrai pas par respect pour les âmes sensibles qui me liraient ! Après quelques tâtonnements, on m'ajusta la coupe de cheveux et le complément capillaire de manière à ce que l'ensemble me permette d'assumer progressivement ma transition grâce à ce petit changement d'image. En sortant de chez la coiffeuse, je me sentais un peu frustrée : certes, me disais-je, je pourrai sortir au masculin sans devoir porter un chapeau durant toute cette période de greffes, mais personne ne me prendra jamais pour une femme avec cette coiffure, je devrai donc hélas continuer à user de perruques. Or le jour même, à deux reprises, des personnes pénétrant dans la mairie lors de ma permanence m'adressèrent un "bonjour Madame" aussi inattendu que réconfortant.

Et de fait, à dater de ce jour, on me perçut systématiquement comme une femme ! J'en fis l'expérience à nouveau quelques jours plus tard lorsque, ayant rendez-vous avec un nouveau dermatologue (j'en aurai "usé" un certain nombre !), celui-ci m'accueillit avec un "bonjour Madame" d'autant plus surprenant qu'en prévision de ses soins attentionnés j'arborais une barbe de 3 jours !

C'est sans doute à ce moment-là que j'ai commencé vraiment à y croire, moi aussi : non pas que j'étais une "vraie" femme, mais que je pouvais paraître femme dans mon quotidien. Du coup, mon appréhension face au regard des autres a presque totalement disparu, je me suis mise à évoluer de manière plus décontractée, et j'ai enfin pu faire mienne cette devise si réconfortante : je suis ce que je suis. Adieu la peur... et adieu à ma Chrysalide : en quelques semaines je suis devenue Camille "à plein temps", ou presque.

 

Première confrontation publique

Janvier 2006 : nous fêtons le retour, dans mon village presque fantôme, de la cloche de l'église volée il y a 35 ans et récemment restituée par la personne l'ayant à l'époque acquise auprès d'un brocanteur. Pour l'occasion nous avons invité les personnalités locales : sous-préfète, député, sénateur, conseiller général, les maires des communes voisines, etc., mais aussi les anciens habitants, les amis, les connaissances, bref une bonne centaine de personnes : baptême du feu pour Camille. Bien qu'ayant décidé par honnêteté républicaine de ne pas venir à la mairie en jupe (j'avais été élue adjointe au maire en tant qu'homme, et j'entendais assumer tant bien que mal ma fonction ainsi en attendant la modification officielle de mon état-civil. Tant bien que mal, car étant vraiment fâchée avec les pantalons, je ne me suis vêtue cet hiver-là qu'avec des maxi-pulls à col boule et des caleçons moulants, et chaussée de bottines... Heu, comme look androgyne, ça se discute !!), je m'attendais du fait de mon récent changement d'image à des réactions étonnées. Ce fut pire (ou mieux, selon les goûts !) : un amical fonctionnaire du Conseil Général que je côtoie épisodiquement depuis 15 ans, arrivé en avance, fit le tour des autres conseillers municipaux avec force embrassades et poignées de mains mais me gratifia d'un "bonjour Madame" poli et impersonnel ; le sénateur me salua avec civilité en cherchant désespérément dans sa mémoire où diable il avait pu voir cette tête-la ; la sous-préfète (mais elle était remarquablement intelligente et ouverte) m'embrassa sur les deux joues avec un grand naturel ; les parents de mon voisin, que je connaissais suffisamment pour ne pas pouvoir les ignorer et me sentir obligée d'aller bavarder quelques instants avec eux, se prêtèrent à ma conversation de bonne grâce mais le soir venu téléphonèrent à leur fils en lui demandant : "au fait, qui était cette dame charmante qui est venue nous parler avant la cérémonie ?".

Beaucoup firent comme si de rien n'était. Seules quelques personnes, dont le maire de la commune voisine, osèrent me questionner, les unes d'un air réprobateur, les autres avec beaucoup de gentillesse et d'intérêt pour mon histoire.

Il serait exagéré de dire que j'ai participé à cette journée avec naturel et décontraction. Mais malgré quelques serrements d'estomac je me sentais plutôt fière d'oser ainsi me montrer dans ma vérité, et je mesurais le chemin parcouru en 26 mois, songeant à mes terreurs pour une simple paire de chaussures de couleur vive...

En chantier

Comme prévu, cet hiver 2005-2006 était consacré au chantier de la transition vers le féminin. De septembre à avril, j'aurai subi 3 séances de greffes de cheveux, douloureuses et traumatisantes. Hélas, malgré ces efforts, l'état de déforestation avancée de mon crâne ne permettra pas un repeuplement suffisamment dense pour m'assurer un minimum de cédibilité. Me voici donc condamnée ad vitam au complément capillaire : ce qui me paraissait une bonne solution transitoire s'avère devenir une obligation définitive contraignante et inconfortable, que j'accueille tout de même de bonne grâce. Tout plutôt que devoir renoncer à mon bonheur d'accéder enfin au statut de femme ! Au moins ai-je la consolation de me supporter à présent dans le miroir lorsque le soir je retire le complément : j'ai tout de même des cheveux sur toute la tête, alors que j'étais quasiment chauve il y a 2 ans.

Bouchées doubles sur l'épilation, laser et aiguille, avec 1 h 30 de torture hebdomadaire. Ultime raffinement dans la cruauté : nous abordons également l'épilation des organes génitaux en vue de l'opération, une bonne partie du scrotum devant être recyclée en paroi interne du néo-vagin. Réputée peu douillette dans notre petit monde transidentitaire, je dois confesser que ça, c'est vraiment à hurler ! ! ! ! ! !

Cerise sur le gâteau, la chirurgie redonne en février des proportions un peu moins exagérées à mon nez, qui restera grand mais avec une forme légèrement affinée et adoucie.

Et puis, pourquoi se priver de ce plaisir qui me rapproche de l'ultime étape du parcours, j'entame le marathon judiciaire destiné au changement de mon état-civil. Ma requête est déposée début avril au tribunal de grande instance. A l'heure où j'écris ces lignes, je viens d'apprendre que mon affaire sera instruite à l'audience du... 26 avril 2007 !!! Je ne suis pas une adepte de la revendication à outrance, mais franchement il y a de quoi devenir enragée, quand on est confrontée quotidiennement à cette forme d'humiliation qui consiste à devoir déballer son intimité à tout bout de champ : à chaque consultation médicale quand cette fichue carte vitale affiche le 1 fatal, au contrôle de billets de train, à l'ouverture de n'importe quelle carte de crédit, au moindre paiement par chèque (personne heureusement ne se soucie du nom imprimé sur les cartes bancaires), pour la simple réception d'un courrier recommandé ou l'obtention d'un colis après avis de passage du facteur, évidemment lors de tout contrôle d'identité ou routier, ou même pour l'inscription à la bibliothèque municipale... Une fois conquise au prix de tant d'efforts une image de femme, chaque rappel de l'identité masculine est vécu comme un camouflet, c'est idiot mais bien compréhensible, n'est-ce pas ?

Allez, un peu de légèreté pour clore ce chapitre : petit sourire d'un matin printanier

 

Saison de femme

Le printemps 2006 arrive, les clients de notre gîte - chambres d'hôtes aussi. Et puisque tout cet hiver je suis passée pour femme,je me dis qu'il est temps de"basculer" aussi dans ma vie professionnelle. Déjà j'ai prévenu tous les habitués de la maison, lors de leur réservation, du changement me concernant : je ne veux pas leur faire vivre une confrontation-surprise, dont j'ai pu constater qu'elle pouvait s'avérer très déstabilisante. A ma grande surprise, personne chez les anciens clients n'a ajourné son projet de séjour suite à cette révélation. Au contraire, la plupart m'ont prodigué encouragements ou félicitations, tous m'ont assurée qu'ils appréciaient notre maison et notre accueil et respectaient mes choix - si tant est que ce mot soit bien adapté à ma situation...

Mais pour les autres, les "nouveaux", que faire, que dire ? Spontanément ils me diraient "Madame" en arrivant, dois-je les détromper pour être honnête, et de ce fait les mettre au courant de ma situation ? Mais je ne vais pas passer le reste de ma vie à clamer sur tous les toits que je suis transsexuelle, bon sang. Même si je ne renie pas mon passé, tous mes efforts tendent à m'intégrer socialement en tant que femme, et après tout mes clients ne vont pas soulever mes jupes pour vérifier le contenu de ma culotte. C'est donc décidé, je passe de l'autre côté, quitte à gérer l'exercice périlleux qui consistera à voir se côtoyer des "anciens", au courant, et des "nouveaux", non informés !

En fait tout se passera très bien. Pour la plupart des nouveaux clients, la question ne se pose pas, sinon de savoir quels sont mes rapports avec N. Rapidement, nous nous décidons pour le petit mensonge qui consiste à nous présenter comme belles-soeurs, pour éviter toute ambiguïté quant à notre relation. Après tout, ce n'est qu'un demi-mensonge, je me sens en quelque sorte soeur jumelle de mon double masculin. Et pour les parents de N. c'est plus simple : de gendre je suis devenue belle-fille, ça évite les gaffes lorsqu'ils bavardent occasionnellement avec les gens sur le pas de leur porte !

Parfois les relations avec nos hôtes dépassent le registre de la pluie, du beau temps et des merveilles de la région : c'est d'ailleurs la richesse de notre travail que de parvenir à un réel échange entre humains. Alors j'explique ce qu'il en est, et bien évidemment cela permet d'approfondir encore notre discussion, d'où de belles rencontres, de magnifiques cadeaux de la vie qui me confortent dans mon bonheur d'être enfin libérée de ce lourd secret. Chaque jour qui arrive est plein de promesses, mon regard sur la vie a décidément bien changé.

Quelques anecdotes de saison

 

 

 

 

La cité des anges

Bangkok, ville au nom prédestiné. Quoi de mieux que "la cité des anges" pour l'endroit de la planète où l'on répond le mieux à l'angoissante question que se pose l'humanité depuis bien longtemps : quel est le sexe des anges ? ! ! !

La saison se termine, la date tant attendue de mon opération approche... et mon inquiétude grandit. Non que je craigne l'intervention, j'ai une confiance aveugle dans le Dr Chettawut, un des plus grands spécialistes de la planète : je connais plusieurs personnes opérées par lui, et leur avis est unanime. Simplement je vis avec N., que j'aime profondément, et je sais ce que ce geste va représenter pour elle, l'acte symbolique qui tuera définitivement son mari.

La question se pose pour moi de manière aigüe depuis 3 ans maintenant : ai-je moralement le droit de vivre mes aspirations au détriment de celle que j'aime ? Depuis l'amorce de la transition ce questionnement me vrille l'esprit. Je me sens immensément coupable, et pourtant je sais que là est mon chemin. Que de larmes versées sur cette question. Elle a engendré des discussions sans fin avec N., dont je ne dirai jamais assez à quel point elle a su rester juste, me ramenant à ma responsabilité vis à vis de moi-même à chacune de mes tentatives pour prendre en charge sa douleur. J'ai consacré des heures à en parler avec mes psychothérapeutes successifs. Et si la réponse théorique me convainquait à peu près - tu dois suivre ton chemin pour être toi-même, tu dois apprendre à te considérer toi pour pouvoir considérer l'autre à sa juste valeur, tu dois savoir compatir à sa souffrance sans te sacrifier pour la lui épargner, tu dois cesser de voir les choses de manière dichotomiques : tu peux vivre ce que tu as à vivre sans pour autant la "perdre", etc. - dans la pratique ce fut une autre affaire.

Les quinze derniers jours avant le grand saut, le doute me taraude. S'y ajoute la peur de la séparation : jamais nous n'avons passé plus de 2 ou 3 jours loin l'une de l'autre. La perspective de ce long mois sans elle m'affole. L'angoisse me submerge, je fonds en larmes à la moindre occasion : un geste, un échange de regards, un sourire, une simple pensée. La mort dans l'âme je mets au point le scénario du départ : N. me conduira à la gare, mais me déposera juste devant l'entrée, sans descendre de voiture, je ne serais pas en mesure de supporter une séance d'adieux dans l'ambiance sinistre d'un hall ou d'un quai. Le 30 septembre, je pars pour Paris et Bangkok comme on part à l'abattoir. L'escale parisienne, pourtant en compagnie de mes grandes amies Patricia et Caro qui s'efforcent de me réconforter, vire au cauchemar. Je me sens écartelée entre cette force qui me pousse en avant et l'irrépressible besoin de revenir dans les bras de celle que j'aime. L'arrivée à Bangkok est pire encore. J'espère et redoute à la fois, dans nos mails comme dans nos longues conversations téléphoniques, les mots qui me feraient renoncer : "Viens, j'ai besoin de toi". Mais elle se mord les lèvres, je le sais, pour ne pas les prononcer. Au lieu de cela elle m'encourage à présent, alors que depuis 3 ans elle tente vainement de me détourner de ce but :

" Je te mets un petit mot, pas pour que tu pleures ;-) , mais pour te redire d'être bien dans la confiance
 et que je fais plein de voeux vers toi pour que tu sois bien, je ne suis pas la seule d'ailleurs alors, tu vois :-)
Il est grand temps que tu te concentres sur ce que tu as à vivre dans les jours qui viennent et que la sérénité t'emplisse.
Je t'embrasse très très très fort, je t'aime aussi ;-)"

 Alors je pleure toutes les larmes de mon corps, et puis je me concentre sur ce que j'ai à vivre.

Lire le récit de l'opération (si si, c'est plus léger !)

 

J+5.

Après une nuit de plomb, je me réveille seule dans mon grand lit perdu dans cette immense chambre d'hôtel. Et c'est là que le miracle se produit : les 4 jours post-opératoires ont été consacrés à la lutte contre mes maux de dos, dans l'inconfort des sondes, pansements et drains. Et je me réveille là, reposée, paisible. Je soulève le drap, j'ose regarder : est-ce possible ? on dirait que "ça" a toujours été là ! la naissance de la vulve est nettement dessinée, sans la moindre cicatrice ! Je prends un miroir et je découvre le reste, les longues sutures mais à n'en pas croire mes yeux un sexe de femme.

Alors je me sens submergée par une vague de bonheur inouïe, où tout se mêle : la certitude d'être enfin réconciliée à moi-même, la gratitude pour cet admirable chirurgien, la prise de conscience du grand élan d'amitié et de solidarité qui m'a poussée jusqu'ici et m'entoure de pensées et de prières (et même si je ne suis pas croyante, il y a là quelque chose qui me transcende, comme un frémissement de "l'âme"), le bonheur d'être, la sérénité, la ferme résolution de ne plus gâcher un instant de ce qui me reste de vie à des pensées négatives, la conscience d'être enfin un être humain accompli. Jamais je ne me suis sentie aussi forte, et je sais à présent que je vais pouvoir affronter le retour, accueillir la détresse de N. sans pour autant m'effondrer.

Quelques mots écrits de mon lit de convalescence

 

               La preuve ! ! ! !               

 

 

En guise de conclusion

J+100

C'est fini, ou presque. La convalescence s'achève paisiblement. Le retour de Bangkok a été très difficile à vivre, mais j'étais forte, je le suis restée, et je crois que cela nous a véritablement aidées à retrouver notre équilibre. Bien sûr, nous ne sommes plus un couple au sens habituel du terme. Chacune tente de développer sa personnalité propre, chacune a sa vie privée, mais la complicité est là, peut-être plus forte encore qu'auparavant. L'épreuve nous a grandies, c'est certain. Nous nous soutenions mutuellement, nous vivons à présent debout côte à côte.

Si tout se passe bien, dans 100 autres jours je ne serai plus une "sans-papiers" dans mon pays. Mais d'ores et déjà, me voici définitivement passée "de l'autre côté".

Femme ? La grande question... Je n'ai pas d'ovaires, pas d'utérus. Mais peut-on réduire une femme à la fonction reproductrice ? Pour certains de ceux qui me côtoient, je suis femme, indéniablement, jusqu'au bout des ongles. Pour d'autres je resterai à jamais un homme "trafiqué". Moi, à la vérité, je me vois comme un drôle d'être humain, décidément inclassable. J'ai fait ce que j'ai pu dans ma peau d'homme, je ferai de mon mieux dans ma peau de femme. Mais dans mon malheur j'exulte d'avoir pu vivre cette "métamorphose impensable" et je remercie infiniment la Vie de m'avoir offert cette splendide compensation, et d'avoir mis toutes ces belles personnes sur mon chemin.

Au fait, c'est quoi, être une femme ?

 

 

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