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Ou les (més)aventures de Camille à l'hopital !

 

La voilà donc partie, ce jeudi de bon matin, pas vraiment fière, après deux jours de semi-diète et un jour de purge et diète liquide. Le chauffeur du chirurgien l'attendait à la porte de l'hôtel avec la belle limousine climatisée. En route pour une expédition dans la jungle urbaine de Bangkok, enchevêtrement fou de voies rapides et boulevards saturés d'une circulation démente, et bordés d'interminables zones où gratte-ciel et bidonvilles se disputent l'espace. L'arrivée à l'hôpital lui offre un moment de soulagement à la vue du grand panneau "certified ISO 9002", suivi de banderoles annonçant son entrée dans un "Center of excellence", mentions retrouvées à l'intérieur peintes à grande échelle jusque sur les portes des ascenseurs !

De fait, le hall d'accueil et ses hôtesses évoquent plus un palace qu'un hôpital… Les formalités d'enregistrement se font sur des imprimés bilingues anglais/thaï, avec l'aide (?) de deux hôtesses et une infirmière qui ne parlent quasiment pas un mot d'anglais. La Camille a un mal fou à faire comprendre qu'elle veut un second formulaire vierge afin d'en traduire les mentions à l'intention de Sandy, une consoeur qui la suivra à 24 h d'intervalle et ne comprend pas un mot d'anglais. Mais lorsqu'enfin ces dames comprennent les louables sentiments qui l'animent, elles s'extasient à chaque mot traduit et font de grandes démonstrations d'admiration devant la grandeur d'âme qui certainement l'anime pour penser ainsi aux autres dans ce moment délicat que représente une hospitalisation. C'est donc après force saluts, sourires, courbettes et expressions de grand respect que la voilà conduite à sa chambre du dixième étage.

Sa première impression  en pénétrant dans la chambre est que les certificateurs ISO ont omis de monter si haut lors de leur visite : si malgré l'exiguïté du lieu le mobilier présente une physionomie globalement agréable (1 canapé et  2 fauteuils pour les invités, placard, poste de Tv, cabinet de toilette), le lit et sa tête attirent son attention par le fait qu'elle sait devoir l'occuper 5 jours d'affilée. Large comme une civière, doté d'un vague matelas mousse et adossé à un ensemble en tissu défraîchi qui masque grossièrement les branchements d'oxygène, l'ensemble fait plutôt vieillot, limite salubre, semble avoir été acquis à vil prix dans un marché aux puces médical, et s'avère immédiatement parfaitement inconfortable. Mais l'heure n'est pas au repos : commence dans l'instant un incessant ballet exécuté avec beaucoup de charme et de sourires par une nuée de jeunes femmes aux uniformes impeccables et de coloris très variables selon les rôles. L'une (en bleu marine) confisque jusqu'au moindre bijou, montre et pièces de valeur, qu'elle part enfermer au coffre contre reçu, trois autres (1 rose et 2 grises) la font mettre nue et entreprennent de lui raser la zone pubienne et ses alentours, en exprimant de manière entendue qu'on va couper ce truc moche qui dépasse (grimace de dégoût et geste éloquent des ciseaux, qui franchit toutes les barrières linguistiques). On l'envoie se doucher, on la sèche, on lui enfile la camisole de rigueur (la première est d'un joli parme, les suivantes seront hélas d'un bleu quelconque), et au lit. Tout cela avec 2 ou 3 mots d'anglais au milieu d'un flot de paroles thaï : impossible notamment d'obtenir des explications  sur le fonctionnement du téléphone, malgré deux bonnes volontés puis deux autres (1 verte et 1 bleu ciel) appelées en renfort. A force de  tâtonnements et après avoir vainement demandé la ligne au standard, tout s'arrange.

Prise de tension, avec un drôle d'appareil dont le brassard est relié à une pyramide en bois de 40 cm de  haut qui supporte un tube à mercure (?), donnant à l'ensemble une allure là encore de "puces médicales". Prise de pouls, prise  de température : le rituel se reproduira toutes les 3-4  heures durant l'hospitalisation.

Arrive celle qui doit être infirmière (uniforme gris, cornette blanche), et  accompagnée  de deux assistantes (parme et saumon) réclame la main gauche de l'impétrante. Après quelques farfouillages désagréables sous la peau, celle-ci voit soudain se former une grosseur de la taille d'un œuf sur le dessus de sa main. L'une des assistantes reçoit l'ordre de téléphoner, et la Camille se  rassure en se disant : on appelle une supérieure, tout va bien se passer. Ce n'est que de la glace qui arrive à grande vitesse dans les mains d'un ravissant uniforme rose, tandis que l'experte infirmière désigne avec autorité la main droite de l'intéressée. Fort heureusement, l'intervention est réussie à droite, et tout ce  beau monde, soulagé, installe une perfusion de ce côté.  La chambre se vide enfin, et Camille contemple d'un air navré sa main gauche entourée d'une serviette contenant un pack réfrigéré. Une heure  plus tard, ce n'est plus qu'un mauvais souvenir, mais il subsiste une vague inquiétude quant à l'efficience des soins qui lui seront dispensés dans les prochains jours. Une envie se fait pressante, la demoiselle fait donc rouler son support de perfusion à ses côtés, et s'installe sur le siège des toilettes en songeant que c'est là son dernier pipi avec le petit robinet. Nostalgie, nostalgie… De  retour vers son lit, elle constate qu'une des roulettes du support de perfusion est récalcitrante. Elle pousse donc un peu plus vigoureusement le bazar, ce qui a pour effet de faire descendre brutalement la partie haute de la tige téléscopique. La secousse de l'arrivée décroche le sachet de perfusion qui tombe à terre. Décroche ? Non, casse l'anneau de suspension ! Sonnette, arrivée de ces dames : une, qui retourne au couloir et crie, 2 puis 4, 5 ! On s'agite, on court, on revient finalement avec une suspension dans laquelle on réinstalle le sachet, tandis que la "malade" montre à ces dames comment serrer le papillon de la tige avec une poigne européenne, voire masculine pour éviter ce genre de mésaventure.

Passe le chirurgien, qui annonce que l'opération, prévue à 13 h, est reportée à 17 h… la prochaine occasion de manger est donc reportée d'autant !

Vers 16 h 45, branle-bas de combat, un monsieur en vert apparaît. On emporte le lit et son contenu. Valse des  plafonds, ascenseur, plafonds, arrêt  devant  une grande porte surmontée de l'inscription "operating theater". En avant pour le théatre, l'héroïne se sent un peu le trac. On roule encore un peu, et on entre finalement dans un bloc où s'agitent une dizaine de personnages verts. Est-ce le bon ? On est passés devant une dizaine de blocs, pourvu qu'on ne l'opère pas d'autre chose !

L'appréhension et le lit s'arrêtent devant le large et chaleureux sourire d'un grand gaillard de Thaï : "Hello, Camille, I'm doctor XXX, your anaesthetist, how are you ?" S'ensuit un dialogue, court mais précis, concernant les appréhensions face à la péridurale que les médecins français écartent systématiquement en cas d'opération préalable de la colonne. Le toubib rit de bon cœur, explique que cela n'est vraiment pas un problème, mais donne le choix à sa patiente : rassurée par la gentillesse et le calme qui émane du praticien, elle lui donne le feu vert pour la péridurale. Allongée en position fœtale, rassurée par les explications du docteur sur chacun des gestes entrepris, elle ne sent absolument rien. Elle a encore le temps de voir son chirurgien, qui lui demande si elle est ready pour son opération, se dit que même si elle ne l'est pas c'est un peu tard, et s'endort aussi sec !

 

 

Vague reprise de conscience dans le courant de la nuit, aucune douleur, bizarre sensation au bas-ventre, sommeil, replongée, nouveau demi-réveil, jamais elle n'a connu de réveil d'anesthésie aussi doux ! Hélas, l'inconfort du lit, sur lequel on a rajouté un genre de matelas pneumatique à moitié gonflé, est tel que sitôt repris ses esprits, la jeune pucelle sent son dos se raidir et commence le décompte effarant des 90 heures qui l'attendent dans la position du missionnaire, version femme. Elle en viendra d'ailleurs à  soupçonner son chirurgien préféré d'être un hétéronormosé conformiste et sadique, imposant l'apprentissage forcé de la position de femme soumise !!! Et la brouette thaïe ? La biche à deux bouches ? La nacelle magique ? Que dalle : sur le dos, jambes écartées. Un peu plus, d'ailleurs on vous installe un gros coussin rigide et triangulaire pour bien marquer l'écartement souhaité.

Le matin arrive, accompagné du premier bouillon et d'un thé. Ah le bonheur de la tasse de bouillon servie 3 fois par jour (avec un jus de fruit clair pour les deux autres repas), surmontée d'un film  plastique dans lequel est plantée une paille qui permet d'aspirer goulûment, tant la faim tenaille le ventre, le précieux liquide à goût d'eau de vaisselle tièdasse !

On lui explique qu'il faut boire beaucoup, pour amorcer la sonde urinaire, et on dépose à son chevet quatre bouteilles d'eau minérale. Alors elle boit, boit, consciencieusement, jusqu'à vomir tout le surplus absorbé ! Il faut croire que l'amorçage  est efficace, car deux jours plus tard on lui demandera si elle n'a pas de problèmes de vessie, tant les infirmières sont effarées du nombre de vidanges de l'appareillage qu'elles ont dû faire : 3 à 4 litres par jour, s'il vous plaît !

Et les heures s'écoulent lentement, lentement à l'horloge maudite qui fait face au lit et semble décidée à faire durer le plaisir autant que faire se peut : on ferme les yeux, on s'assoupit un peu, on se prépare psychologiquement à avoir gagné une heure ou deux, et on constate avec horreur qu'à peine trois minutes se sont écoulées…

Seul intermède délicieux : la toilette bi-quotidienne, réalisée par des mains expertes qui lavent, frottent, talquent,  changent le  drap, aident à brosser les dents, et surtout, ineffable  bonheur, basculent la gisante sur un côté, puis l'autre, 3 minutes de répit deux fois par jour !

Dans l'après-midi, visite de deux copines, dont l'une, Michèle, suivra le même chemin une semaine plus tard. Pour l'heure, elle recueille les vomissures d'une Camille soudain prise de nausées...

La nuit suivante, la douleur dans le dos est devenue tellement insupportable que Camille finit par surmonter sa réserve naturelle et se décide à sonner. Devant ses grimaces et sa mine défaite, la jeune femme accourue appelle une aide, et toutes les deux entreprennent de faire pivoter le lit pour en présenter le pied vers la prise d'oxygène mal dissimulée derrière un faux tiroir en tissu à carreaux qui coulisse avec difficulté. Elles branchent un raccord auquel elles abouchent le tuyau qui pend au bout du matelas, et ouvrent la vanne. Un souffle jaillit, le tuyau saute, elles le maintiennent en place à quatre mains, la moitié inférieure  du matelas se gonfle, devient toute dure, se gonfle encore… et explose en un bruit assourdissant ! Dépitées, les filles remettent le lit en place et s'en vont, abandonnant la patiente à son triste sort.

En milieu de matinée le lendemain, la douleur permet à Camille de vaincre ses dernières timidités, et elle appelle Tair, la femme du chirurgien, sur son portable. La communication est hachée, mais le message est  passé. Une heure plus tard, elle reçoit la visite de l'anesthésiste qui lui injecte un calmant par la péridurale. Hélas, le soulagement est de courte durée, et le chirurgien qui fait sa tournée dans l'après-midi lui promet le matelas d'une patiente en fin de séjour, avant de se retirer visiblement ennuyé de l'intensité de la  douleur. Une semaine plus tard, Camille  apprendra qu'il attendait la demande d'une piqûre de morphine pour la soulager, tandis  qu'elle se disait intérieurement : mais pourquoi ne se décide-t-il pas à me donner de la morphine, il y a sûrement une raison valable. Choc des cultures, stupide et maladive timidité !!!

Un peu plus tard, c'est  Tair qui vient la voir, lui tapote gentiment le bras d'un air désolé. Alors elle craque et pleure sa douleur et sa déception de ne pas être comprise. Tair est aux cent coups, elle bat le rappel dans le couloir, exige des oreillers, tente de l'installer sur une montagne de coussins, file à sa voiture et revient avec un gros coussin pelucheux en forme de bouée : rien n'y fait, chaque nouvelle position est encore plus douloureuse et Tair s'en va, vaincue et navrée.

Vers 22 h, Camille se dit qu'elle ne pourra pas subir encore une nuit de la sorte. Au diable toutes  ses retenues, elle sonne et exige qu'on fasse quelque chose pour elle, avec dans la voix autant de colère que de prière. Soudain branle-bas de combat, on semble s'apercevoir que le lit tant attendu est libre, trois filles le poussent jusqu'à la chambre, où deux autres s'échinent à repousser mobilier et lit occupé dans un coin. Les manœuvres d'abordage prennent un temps infini, il faut s'y reprendre à dix fois, naviguer au centimètre, enfin on fait glisser la -très- patiente sur l'autre lit, doté d'un matelas non explosé et qu'on branche sur une prise de courant cette fois. Camille regarde d'un air suspicieux cette nouvelle installation, craignant à présent de se voir électrocuter par le gadget du jour. Mais non, malgré les boudins gonflés en travers de son dos qui lui font l'effet de barres de fer, un léger mieux-être s'installe, qui lui permettra de passer les deux jours suivants dans un inconfort supportable.

Enfin, le quatrième après-midi, arrive l'infirmière du chirurgien, Nut, une jeune femme énergique, précise et  efficace. En deux temps trois mouvement, elle a retiré les drains, le pansement, le bouchon vaginal (un interminable ruban de gaze enfoncé en sinusoïde dans la cavité, et qu'elle tirera sur une longueur à faire pâlir d'envie un prestidigitateur), la sonde urinaire, le tout sans douleur. Remarquable ! Elle commande un repas pour la convalescente, lui confie son "kit de soins" et s'en va comme elle est venue, non sans lui avoir recommandé de boire à nouveau beaucoup : on dispose à ses côtés 5 nouvelles bouteilles d'eau ! La sortie de l'hôpital est conditionnée par la production attestée sous contrôle infirmier du premier pipi de fille. 45 minutes et 3 bouteilles plus tard, la pression de la vessie semble à son comble. Camille sonne, selon les recommandations qui lui ont été faites, et on l'aide à se lever (la tête tourne un peu) et à s'installer aux toilettes. Au lieu du jet libérateur attendu, ce sont les intestins qui se vident de gaz et de bouillon accumulés durant 4 jours, à quoi se mêle bientôt un puissant jet d'eau claire. Au lieu de crier victoire, la pauvrette se dit flûte, tout est passé par le mauvais trou, tellement elle est perturbée par sa nouvelle situation morphologique. Il lui faut reprendre ses esprits et rappeler l'infirmière quelques minutes plus tard, pour un long conciliabule affirmant qu'il y a bien eu pipi ! Ce qu'attesteront d'ailleurs deux nouvelles expéditions dans la demi-heure qui suit. On commandite alors le chauffeur du docteur, ce qui laisse tout le temps à notre héroïne de se sentir très mal tout à coup : nausées, sueurs, vertiges. Deuxième visite de deux copines, dont Michèle qui recueillera ainsi à nouveau ses vomissures ! C'est une épave que l'on déposera 2 heures plus tard à la porte de l'hôtel, et qu'il faudra presque porter jusqu'à sa chambre où elle s'écroulera dans son lit à bout de forces. Rideau !

 

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